CONFERENCES DEBATS

Samedi 3 Juillet

Ces premières Rencontres ont réuni des militant-e-s venu-e-s de toute la France, partageant la volonté de changer le système actuel basé sur la domination de la finance et des multinationales, et notamment de développer la souveraineté alimentaire et l’échange équitable et de rapprocher producteurs et consomm-acteurs. Les intervenants invités ont chacun exposé des pistes alternatives dans un domaine concret.

Claude Le Guerrannic

Echange, monnaies alternatives, SEL

Qu’est-ce que l’échange ? Il y a d’abord eu des échanges non formalisés sur la base de la confiance, puis le troc, un échange formalisé, équitable. La monnaie apparaît quand on n’a pas d’intérêts communs. Les premières monnaies sont en métal, avec leur propre valeur intrinsèque. Les Chinois inventent le billet avec le papier et l’imprimerie. Le billet se déconnecte de la valeur de la monnaie, et la relation devient de plus en plus abstraite, jusqu’au chèque et à la carte de crédit. Avec le temps, l’économie capitaliste cherche à marchandiser tout ce qui a usage. Avec l’industrialisation et la division du travail, le productivisme, la mondialisation et la financiarisation de l’économie, on ne maîtrise plus ses usages, il y a une perte d’autonomie. Relocaliser, c’est récupérer du pouvoir sur nos usages.

L’idée de monnaies alternatives apparaît avec Silvio Gezel en 916 qui avance l’idée d’une « monnaie fondante », qui perd sa valeur avec le temps. En 1930 en Allemagne deux villes ont tenté l’expérience, et cela a très bien marché, mais le gouvernement les a interdites. En France aussi il y a eu des expériences, en 1956 à Lignières et en 1957 à Marande, stoppées par le gouvernement…

Les SEL (systèmes d’échanges locaux) sont une bifurcation par rapport aux monnaies alternatives. Les gens ont des compétences, ils les échangent, on comptabilise ces échanges, mais sans monnaie, par exemple sur la base d’unités de compte en temps de travail. Tout travail a la même valeur. Le 1er SEL fut initié par Michaël Linton, l’expérience a duré 5 ans et a essaimé en Grande Bretagne, où a été rédigée une Charte éthique. Un 1er SEL apparaît à Vancouver en 1984, depuis il y en a partout dans le monde, le 1er en France apparaît en 1994 en Ariège. On lui fait en 1998 un procès pour « travail au noir ». Il est relaxé en appel. Mais ce genre de procès a freiné le développement des SEL. Comme les gens d’un SEL se connaissent, cela marche en réseau, ouvert en principe, mais il y a une auto-limitation aussi sur le plan géographique, la majorité des SEL regroupent de 50 à 60 personnes. SEL'idaires répertorie sur son site 407 SEL en France, mais le mouvement se développe. Il y a un bulletin de liaison, La Route des SEL.

Michel Lepesant

Monnaies complémentaires locales

Je recommande de lire le livre d’Alain Testard, « Les origines de la monnaie », qui montre que les monnaies existaient avant le troc, et que le crédit est très ancien. A Romans, où j’habite, on a un projet de monnaie complémentaire locale, ou sociale, et il y a déjà deux SEL intégrés à notre projet.
Les monnaies complémentaires locales se dévelopent comme alternatives concrètes, cela devient un phénomène de mode, il se crée un réseau, avec au moins 20 projets en route, autour notamment du guide d’emploi de Philippe de Rudder. Il en existe une à Villeneuve sur Lot, il y a un projet à Pézenas… C’est à distinguer du SOL, proposé par Patrick Viveret, qui est un projet descendant, porté par des régions, financé à 50 % par l’Europe, avec des permanents, mais qui est un échec.

Des monnaies parallèles ont toujours existé : un évêque, un comte battaient monnaie ; les cathédrales ont été payées en méreaux, des bouts de pièces en plomb, les artisans allaient manger dans des auberges les produits des évêchés. L’Etat s’est accaparé le pouvoir de battre monnaie. Mais par exemple il existe en Suisse le WIR, qui est utilisé par 200 000 entreprises depuis 80 ans ; et dans une vallée allemande, une monnaie a été inventée par un professeur, et est utilisée par 4000 entreprises. Les SEL font partie des monnaies complémentaires. A Romans, nous ne sommes pas partis d’un SEL, mais nous avons réuni moitié militants et moitié commerçants (essentiellement bio) ; nous avons défini les caractéristiques de cette monnaie : c’est le principe de la fonte ; tous les mois la monnaie perd un pourcentage de sa valeur ; il faut donc la dépenser. Aucun particulier ne peut changer de la monnaie complémentaire contre des euros, mais les commerçants associés et les AMAP le peuvent ; mais pour sortir de la monnaie complémentaire, ils paient une prime qui alimente un fonds de garantie. Il y a une prime à l’entrée dans le système, on reçoit 110 pour 100 euros apportés. L’entrée peut être en euros ou en temps.

Les commerçants ont adoré ce système, car il oblige à consommer. On a peut-être 20 % des commerçants de Romans. Le fait d’avoir des commerçants n’est pas grave car on a une charte. Notre argumentaire commun sera éthique (le politique ayant été refusé). On pose aussi des contraintes sociales. L’avantage des commerçants est d’avoir un label.

L’objectif premier de la monnaie complémentaire est qu’il existe des gratuités non utilisées ; on en fait la liste sur le pays ; on met en face des besoins non satisfaits, et la monnaie complémentaire relie les deux. On découvre ce faisant à quel point les gens n’ont pas l’habitude de travailler de façon démocratique et horizontale.

A Villeneuve sur Lot, une monnaie locale a été lancée, l’Abeille, après avoir été étudiée par 4 ou 5 personnes ; ils n’ont pris que quelques prestataires, des AMAP et des producteurs bio. Même si en six mois, elle est utilisée par 80 personnes, je trouve son démarrage trop lent ou restreint. Je préfère faire venir des gens éloignés de nous, avec qui on discute.

Parmi les alternatives concrètes, comme les AMAP, les SEL, le gros risque à éviter est celui de l’enfermement, celui de fonctionner en vase clos, en club. Les monnaies complémentaires sont à cet égard les plus ouvertes.

Discussion

Madeleine : A Romans, vous allez être vus comme des cautions du système, en acceptant les subventions municipales et en travaillant avec des commerçants… Danièle Lorut : C’est une étape dont on pourrait se passer, car c’est une monnaie bâtarde, adossée à l’euro. Il faut passer dès maintenant à une monnaie complétement alternative. Pourquoi ne pas faire un inventaire des richesses non monétaires et les distribuer par des bons à tirer sur les biens communs ? Les femmes auraient des équivalences en échange d’avoir élevé les enfants. Evelyne Perrin : j’aimerais que l’on parle du rôle des collectivités publiques, locales ou non, dans l’accès aux biens communs. Comment cela s’articule-t-il avec ces expériences ? Quelqu’un du NPA : Tous ces gens ne devraient-ils pas mettre leur énergie dans des partis politiques pour changer la société ?

Claude Le Guerrannic : C’est pas du tout la même chose de donner son énergie aux partis. Là, les gens se saisissent de ce qui les regarde et changent quelque chose à leur vie, dans un système où n’importe qui peut décider. Il n’y a pas un mode d’action qui annule l’autre.

C’est vrai que la monnaie complémentaire – ou même le SEL – marchandisent des échanges qui ne l’étaient pas. Certains SEL décident de se passer de feuilles d’échanges. Mais avec le SEL, on dépasse le cercle des amis, car cela repose sur des principes universels et non affinitaires. La confiance se construit. Quand on se connaît, on peut demander quelque chose à l’autre sans formalisation des échanges. Un des intérêts des SEL est de déconnecter travail et emploi. Pierre : La monnaie SEL est liée à du temps de travail. C’est ce que Gorz appelle la sphère autonome, placée dans la sphère non marchande. Il faut expliquer en quoi cette monnaie est transitoire, et à quel moment il y a rupture avec le système capitaliste. La dimension pédagogique est fondamentale. Jean-Marie Robert : Raoul Vaneigem disait : »Le radicalisme est une insulte à la radicalité ». L’attitude de la gauche radicale est de penser un futur idéal mais lointain, sans penser la période de transition, que des militants associent à du réformisme. Or, la forme engage le fond. La question de la relocalisation est une question ouverte.

Thierry Brulavoine : On en est là car la gauche, depuis plus d’un siècle, a évacué la question du contrôle des citoyens. Les partis de gauche brandissent de beaux principes, mais votent des délibérations en contradiction complète avec leurs principes, car on leur a délégué le pouvoir. Là, les gens se réapproprient des questions locales, recréent des liens entre eux, décident. Il faut à la fois penser le projet, le politique et les expériences concrètes. Si la gauche ne parvient pas à s’emparer du principe de l’objection de croissance, il y a un problème.

Christian Sunt : Dans ce système, le travail n’est plus lié à un emploi, mais à ta capacité de création. L’activité individuelle est créatrice de richesses. Quand on demande un service à quelqu’un, ce quelqu’un s’enrichit. Il existe un projet, « Grappe 3 », où des viticulteurs arrachent des vignes pour produire des produits agricoles pour les besoins locaux, et qui ont mis en place une monnaie locale. Les Catalans, par exemple, ont décidé dans leurs expériences de monnaies locales que la plus grande partie de l’euro converti dans des fonds de garantie servirait à la création d’activités nouvelles utiles socialement, sous forme de prêts gratuits ou de tontines, remboursés en monnaie locale.

Un second intérêt des monnaies locales est que les collectivités locales attribuent leurs subventions à des publics particuliers et à des réseaux locaux, plutôt qu’à Carrefour.

Michel Lepesant : Le projet de monnaie complémentaire est un projet de transition. Nous discutons ensemble, à Romans, pour voir comment conserver le groupe de départ en allant plus loin. Mais je n’ai jamais vu des salles aussi pleines de gens enthousiastyes ; le moteur, c’est être ensemble, faire quelque chose ensemble démocratiquement. On ne se contente pas de pétitions, de manifestations, on modifie la façon d’habiter, de travailler, d’échanger. Il ne s’agit pas d’avant-garde éclairée, de militantisme agenda, mais de la militance situationnelle comme la revendique Miguel Benasayag. Guy Debord parlait de construire des situations pour changer la société. On ne change pas les choses seulement par l’explication, la pédagogie, car le système actuel formate les esprits par tous les moyens à sa disposition. Pour changer les choses, il faut démontrer que c’est possible, pratiquer par le FAIRE nos propres valeurs. Nous faisons des choses qui ont une âme.

Stéphane Linou

Manger 100 % local

A Castelnaudary, dans l’Aude, j’ai fait pendant un an une expérience de manger 100 % local dans un rayon de 150 kms. Nous avions créé une 1ère AMAP en 2004 pour avoir des légumes réguliers, bons, bios, payés à leur juste valeur. Or, il nous a fallu deux ans pour trouver un maraîcher, car c’est le pays de la pensée unique blé-tournesol. En 1945, il y avait 4000 maraîchers dans la ville de Toulouse, il en reste 40 ; la ceinture maraîchère est bétonnée avec les villas-piscines. Or, ce sont les meilleures terres. Les légumes et fruits viennent de plus en plus loin, les cantines scolaires sont prises par Sodexo. Toulouse est sous perfusion alimentaire, 70 à 80 % de l’alimentation est achetée dans les grandes surfaces. Or, il faut savoir que celles-ci n’ont que quatre jours de stocks alimentaires : imaginez une rupture de la chaîne de transport !

Sur le plan écologique, l’agriculture dépend totalement du pétrole pour l’acheminement des produits, les tracteurs, les engrais, les pesticides. S’il y avait une hausse soudaine du prix du pétrole, les denrées alimentaires coûteraient très cher, et s’il y avait rupture de l’approvisionnement, comme les gens n’ont plus de jardins, et qu’il n’y a plus de ceintures maraîchères, il y aurait de graves problèmes (il n’y a plus de stocks de l’Etat). Il est impératif que la problématique de la souveraineté alimentaire soit prise en compte.

J’ai donc décidé il y a un an de me mettre en scène pour mesurer notre degré d’autonomie alimentaire, en me nourrissant 100 % local. On m’a dit que j’allais perdre des kilos et manquer de vitamines. J’ai donc fait un bilan médical avant, pendant et après et me suis fait suivre par une conseillère familiale ; J’ai supprimé le café, le thé, le sucre, et me suis nourri des légumes des AMAP que j’avais créées, y compris pour le pain (il y avait une AMAP pain), et j’ai trouvé du fromage et du vin de l’Aude. Des paysans locaux m’ont fourni des légumes secs et des pâtes, de l’huile, pour la viande on fait des achats groupés locaux, j’ai même trouvé du beurre local, ce qui est très rare : un paysan a trouvé du soja français sans OGM, a transformé son lait en tome, et il est en train de se former pour soigner ses vaches avec des plantes. Or, il n’était pas bio au départ. On peut tirer à nous des agriculteurs conventionnels sans les stigmatiser.

Je suis passé à la télé, dans les journaux, sur les radios. Des mères de famille et des parents d’élèves m’ont invité, des associations de consommateurs, des communautés de communes et des pays. Le but était de faire bouger les élus. L’alimentation peut être un cheval de Troie pour décrypter notre système économique. Dans les AMAP, on voit comment est répartie la richesse par rapport aux supermarchés, à partir de l’alimentation on peut tirer le fil. C’est éminemment politique. Le principe des AMAP, c’est la solidarité par rapport aux dégâts climatiques. En circuit court, on fixe la richesse sur le territoire.

J’ai tiré les conclusions de mon expérience. Aujourd’hui, je reste à 70 % de produits locaux, le reste ce sont des exceptions comme le thé, le café, la banane…En n’achetant plus de plat cuisiné et en transformant moi-même du produit brut, j’ai même fait des économies (me nourrir de la même façon coûtait entre 5% moins cher et 50 % plus cher en supermarché). J’ai même mangé de la viande car si cela avait été « manger 100 % bio », le discours serait moins bien passé, il ne faut pas effrayer les gens : ce fut une expérience de transition.
A choisir entre du bio qui vient de loin et du local conventionnel mais où le producteur s’engage à faire des progrès, je choisis le second. Des producteurs conventionnels sont venus aux réunions, ils ne se sont pas sentis agressés. Là, on revient à une économie de face à face. Le producteur est dissuadé de faire n’importe quoi et est encouragé à faire des progrès, car il se sent responsabilisé.
Castelnaudary est la capitale du cassoulet, mais tout est produit à l’extérieur, les haricots viennent d’Argentine, le porc de Bretagne et d’Aragon, le canard de Hongrie…Quand je l’ai dénoncé, j’ai subi des pressions, une tentative de licenciement, des articles censurés… Un maire peut évoluer s’il est épaulé et soutenu par les consommateurs. Les élus tiennent le levier de la commande publique. Il faut rappeler que l’autorité municipale s’est fondée sur la gestion de la pénurie alimentaire et sur la sécurité (les remparts), les élus avaient créé la police des grains et la police de la viande.
Aujourd’hui, cette question la suffisance alimentaire est sortie du champ politique et est laissée aux mains des grandes surfaces. Or, c’est une question d’ordre public. Aussi, j’ai souhaité qu’un militaire intervienne. Celui que j’ai contacté s’est basé sur le plan de pandémie grippale qui prévoit comme première mesure la réquisition des plate-formes d’approvisionnement ; les exploitations agricoles sont vulnérables, car production et consommation sont à la merci des transports. Je cherche le débouché politique de cette expérience.
Ma stratégie est non frontale, transitoire, on co-construit le changement, même si cela prend du temps. Le Grand Soir, c’est pas pour tout de suite, il y a des étapes de transition où l’aspect échange est primordial, pour être tous gagnants.
Aujourd’hui, à Castelnaudary, ville de 100 000 habitants, il y a plus de 120 familles en AMAP. Les AMAP, c’est du développement local. Il faut réintroduire la préoccupation de l’autonomie alimentaire dans les SCOT (schémas de cohérence territoriale). Tous les dix ans, la surface agricole d’un département disparaît en France. Les parties prescriptives des SCOT sont vidées de leur contenu. Or, les documents d’urbanisme permettent de sanctuartiser les terres nourricières.



Discussion

Une élue locale chargée du SCOT : En lisant au pied de la lettre la loi SRU, on doit maintenir 32 000 hectares de terres agricoles, et d’ici 2030, diminuer de 30 % la surface à urbaniser. Nous imposons de densifier les bourgs et de limiter les infrastructures nécessaires. Les SCOT ne suffisent pas. On met en place des périmètres de protection agricole. On réfléchit à la fourniture de raps collectifs par des agriculteurs locaux, à des plans d’action…

Jean-Michel Duclos : Le SCOT du Grand Clermont (107 communes et 400 000 habitants) ne va pas du tout dans le bon sens. Les élus locaux font des projets d’équipement colossaux, s’endettent à fond, mais un maraîcher ne peut plus s’installer car les élus n’investissent plus dans le foncier.

Un élu d’une communauté de communes : Des jeunes qui veulent s’installer en circuit court ne trouvent pas de terres, alors qu’il y a des terres en friche. La nouvelle loi de modernisation agricole est très dangereuse.

Pierre Lusso ( ?) : Quel est le débouché politique ? Il faut dépasser la démarche individuelle, et poser la question de la souveraineté alimentaire locale, et de la préservation des conditions foncières de l’agriculture, et faire des pressions sur les élus.

Stéphane Linou : Prendre l’exemple de l’alimentation, c’est l’étape de base. Les AMAP sont des lieux d’échanges, où l’on commence à se faire une partie de sa souveraineté alimentaire. De là, on pose la question du partage de la valeur ajoutée, celle des semences, de l’agrobusiness, du foncier. Les gens se politisent, envisagent des pressions sur les élus. On apprend aussi à se passer des lobbies. Je me suis adressé à de gros agriculteurs, pour qu’ils mettent une partie de leur foncier à la disposition de jeunes agriculteurs pour qu’ils s’installent. J’ai quand même eu 8 propositions. Par l’addition de toutes ces initiatives, le mouvement social et le politique s’articulent.

Bernard Poinel

Une agriculture non productiviste

Je suis en transition vers le bio, je produis des plantes médicinales et des canards. Je préside une coopérative de 15 producteurs. En France, 10 % des produits agricoles sont exportés. L’Union Européenne veut aligner l’Europe sur l’OMC, la protection aux frontières va en diminuant, alors que nous sommes face à des pays sans contrainte environnementale ou sociale dans un échange inégal. La récente loi de modernisation agricole nous dit : « Laissez faire le marché, soyez compétitifs ! »

Je suis minoritaire à la Chambre d’Agriculture, les agriculteurs votent majoritairement pour la FNSEA, et la Confédération Paysanne n’a fait que 20 % aux dernières élections agricoles. Nous défendons tous les agriculteurs, mais pas toutes les agricultures. On va créer des unions interprofessionnelles agricoles où ne seront représentés ni les syndicats minoritaires, ni les consommateurs. Or, la production doit être défendue pour qu’elle reste là, il y a besoin pour cela d’une intervention de l’Etat.
Actuellement, on conforte les agriculteurs dans une culture productiviste qui a plus de 50 ans et qui a fait des ravages, on a une course à l’augmentation des volumes, or, les plus mal nourris sont 7 à 8 millions d’agriculteurs. 50 % des cas de stérilité sont dus aux pesticides utilisés dans l’alimentation, et 80 % des pathologies viennent de ce que l’on mange.
Nous avons lancé l’Appel de Paris contre les pesticides sur les produits. Mais les paysans ont besoin de la demande sociale pour avancer. Le bio n’est pas sécurisant, il faut 200 à 300 000 euros pour s’installer. Heureusement, il y a un début de structuration de la filière. Il faut rendre le bio accessible à tous. Les AMAP sont un moyen, mais ce n’est pas le seul. Il faut aller au-delà des AMAP. On met au point dans le 44 un Annuaire des producteurs du département capables de fournir les cantines. Un sondage montre que les responsables des cantines veulent à 60 % introduire du local et du bio. On ne s’interdit pas de recourir à l’industrie agro-alimentaire, mais en leur imposant un cahier des charges indiquant la provenance. On peut soutenir ainsi la relocalisation. Dans des coopératives, on peut également avoir des associés non coopérateurs, mais qui apportent des capitaux. Les coopératives sont défiscalisées, les bénéfices sont retournés aux producteurs. Il n’y a pas beaucoup d’agriculteurs bio en difficulté, car il faut moins d’entrants, et le bio est aussi rentable que le conventionnel.
Dans l’AMAP, on passe un contrat avec le producteur, ce peut être un rapport de dépendance, car les consommateurs sont organisés. Avec CAP 44 et la Confédération Paysanne, on réfléchit à organiser les producteurs. On a aussi des magasins de producteurs (Court-Circuit). Il faut relativiser l’AMAP. Le foncier ne devrait pas être approprié, mais considéré comme un bien commun. Au niveau européen, 700 députés réfléchissent à la relocalisation et à la souveraineté alimentaire, on les a rencontrés, il faut travailler avec eux.

Discussion

Jean-Marie Robert : Il pourrait y avoir des centrales d’achats gérées en coopératives, qui fourniraient les produits. Les AMAP sont un effet de mode, elles risquent de ne pas durer plus de dix ans. EN Grande Bretagne, il y a le mouvement Villes en Transition, dont il faut s’inspirer.

Jean-Michel Duclos : Les AMAP sont des instruments d’éducation populaire.

Christian Sunt : En Beauce, ils travaillent sur le blé pour en faire de l’éthanol. La question est : qui est propriétaire de ? Des AMAP militent pour le droit d’usage de la terre et remettent en cause la propriété privée. Je résume cela par une réappropriation de la maîtrise des usages, en retricotant un modèle social. Il ne faut pas tomber dans le rapport aliéné de vente de sa propre force de travail. Les AMAP de Toulouse ont beaucoup réfléchi, et elles ont acheté des terres qu’elles donnent en gestion payante. Un squatt d’ex-SDF a créé sur 7 hectares mis à disposition par la ville des exploitations où ils produisent et distribuent gratuitement de la nourriture à l’ensemble des précaires de Toulouse.

Danièle Lorut : Il faut s’attaquer à la propriété privée, en mettant en place une finance solidaire pour acheter collectivement la terre et la confier à qui en fait un bon usage. Et il faut développer la maîtrise des usages, soit interdire toute utilisation des terres autre que pour des fins nourricières. Il faut considérer la terre comme un être biologique et non comme un support. Il y a eu lors des élections régionales un Appel « Alimentons nos régions », émanant de la Confédération Paysanne et d’AMAP, sur lequel il faut s’appuyer.