La France a été marquée ces dernières années par une vague de plans sociaux, de fermetures d’usines et de délocalisations. Sous l’impact de la mondialisation, et de la domination d’un capitalisme financiarisé qui met l’entreprise globale sous le joug des marchés, la délocalisation est devenue la règle dès qu’elle s’avère rentable.

Comme j’ai pu le constater lors du tour des entreprises en lutte que j’ai effectué cet hiver, de Continental à Molex en passant par Goodyear et autres, la délocalisation est la mesure-phare, en particulier dans le secteur automobile, et ceci même s’agissant d’entreprises rentables et innovantes. Elle contribue fortement dans certains secteurs à la destruction des emplois industriels.

Yves Mamou, dans la page du Monde consacrée au conflit de Totalˇ, rappelle qu’en 2010 l’industrie emploie 500 000 personnes de moins qu’il y a dix ans. La direction du Trésorˇ estime que deux millions d’emplois industriels ont disparu en trente ans, tandis que la perte de valeur ajoutée pour l’industrie est sur cette période de 40 %.

Une liste sans fin de délocalisations

Les « Contis » ont fait la une de l’actualité en 2009. Leur lutte fut à de nombreux égards exemplaire, car les salariés ont constitué un comité de lutte avec les syndiqués de divers syndicats et des non syndiqués. Cette unité a été une des clés du succès. Ils ont lutté contre la fermeture de leur entreprise car elle était rentable. Ils n’ont pu en proposer la reprise. C’est un cas de délocalisation pure et dure, où les machines sont parties en Roumanie. L’Etat n’est pas intervenu, et la CGT n’a pas apporté de soutien. Aussi les salariés se sont-ils battus pour que leur licenciement coûte le plus cher possible au patron : ils ont obtenu les plus grosses indemnités parmi les entreprises victimes de plans sociaux. Leur détermination dans l’unité s’est maintenue face à la répression et au procès intenté à sept d’entre eux. La leçon qu’ils en tirent : « On n’est jamais mieux servis que par soi-même, et il ne sert de rien de déléguer la lutte aux syndicats. »

Renault-Trucks dans la banlieue lyonnaise est un cas emblématique de stratégie d’entreprise globale. Après avoir vécu de subventions publiques, le groupe construit une usine en Russie et y transfère le savoir-faire de l’entreprise, tandis que des bureaux d’études concurrents sont créés en Inde et en Turquie. Pour l’entreprise française, la surcapacité est organisée. Parallèlement, les nouvelles méthodes de management induisent stress et suicides, dénoncés par la CGT, qui lutte contre les délocalisations, en l’absence d’unité syndicale.

Sous-traitant de France Télécom, Téléperformance est emblématique d’une mondialisation qui met tous les sites de travail en concurrence en tirant les salaires et les conditions de travail vers le bas. Il y a une volonté délibérée de mettre certains sites en difficulté pour justifier les plans sociaux.

A Goodyear Amiens, la lutte continue, notamment juridique, contre le projet de fermeture d’un site rentable, mais mis en péril par des investissements en Pologne, en Chine, l’absence de modernisation et d’investissements, et le projet de Goodyear de céder la production de pneus agraires et d’arrêter la production de pneus de tourisme. Il n’y a pas d’unité syndicale et l’UNSA a été créée comme interlocuteur du patron. La lutte de SUD et de la CGT se concentre sur la sauvegarde de l’outil de production, tout en dénonçant l’intensification du travail.

Heuliez est manifestement un cas à part parmi les entreprises en lutte que nous avons rencontrées. D’abord parce qu’elle était restée jusqu’à il y a peu une entreprise familiale. Ensuite parce qu’elle est sur un nouveau produit d’avenir, la voiture électrique, et que son personnel a montré ses compétences en matière d’innovation industrielle. Mais enfin parce qu’Heuliez a conservé sur son site principal toutes les parties de la production, de la conception, par son bureau d’études intégré, à l’emboutissage et à l’assemblage.

A Delphi Blois, la CGT dénonce les délocalisations de la production en Turquie et Roumanie, le chômage partiel, l’absence d’augmentations de salaires, l’intensification du travail (suicides), et plus généralement, une nouvelle race de managers, des financiers et non plus des industriels.

L’aventure de Philips à Dreux est celle de la disparition programmée de la production de téléviseurs en France, avec les délocalisations en Europe de l’Est et en Chine, et finalement la fermeture du le site français. La CGT – dissidente – a mené une grosse bataille juridique pour retarder l’échéance, a tenté de reprendre le contrôle de la production, a fait des propositions de reconversion, en vain.

A Molex à Villemur sur Tarn, la fermeture de cette usine très rentable et de pointe a déclenché une lutte de onze mois, dont un mois de grève. C’est un cas flagrant de « clonage » de l’entreprise et de transfert de son savoir-faire aux Etats-Unis et en Chine. Epuisés par la lutte, les salariés ont accepté l’accord de licenciements avec des primes de 26 000 à 65 000 et neuf mois de reclassement payés à 100 % ; mais le fonds d’investissement, qui a touché 12 millions d’euros pour reprendre l’entreprise, ne reprend que 15 à 20 salariés, sans qu’aucun motif économique n’ait été fourni au PSE. La CGT a envisagé de reprendre l’entreprise, mais les salariés n’ont pas suivi.

Renault Flins, alors que la production n’a jamais été aussi forte, connaît délocalisations en série, augmentation de la productivité et travail en sous-effectifs, départs volontaires massifs. La CGT se bat pour des primes et augmentations de salaires, pour la semaine de cinq jours et des embauches, pour la production d’un nouveau véhicule.

Quant à Renault Douai, c’est une grosse usine en train d’être « détricotée » pour ne faire plus que l’assemblage, les effectifs fondent par des ruptures conventionnelles, une nouvelle organisation du travail entraîne stress, suicides, dégradation des conditions de travail. Une CGT très démarquée de la ligne fédérale se bat pour obtenir la production d’un véhicule low cost.

Enfin, à Renault Technocentre à Guyancourt, malgré de gros problèmes de stress dû aux mutations arbitraires, à la gestion par objectifs individuels, au manque de personnel, il n’y a pas à proprement parler de lutte ni d’unité syndicale. Les réductions d’effectifs ont pris la forme de licenciement de 1000 prestataires, d’un plan de départs volontaires de 1000 salariés. Le chômage partiel sévit, et les délocalisations de technocentres ont lieu avec transfert de savoir-faire, en Europe de l’Est, en Inde, en Chine.

A Freescale Toulouse, après cinq semaines de grève menées par trois syndicats sur six contre un PSE de 821 suppressions de postes, l’usine a été vendue à un fonds de pension qui la dépèce, n’investit plus, et concentre la production aux Etats-Unis. La lutte est menée dans l’unité syndicale par un comité de lutte, et a permis d’obtenir jusqu’ici un engagement pour des indemnités de 40 à 50 000 euros.

Chez Chaffoteaux et Maury, entreprise très innovante qui fabriquait un produit de pointe, une lutte acharnée de quatre mois, très médiatisée (calendriers) a été cassée par la demande de primes de départ par FO, alors que la CGT se battait pour sauver l’emploi. Là encore, après un rachat d’entreprise familiale, les machines sont parties en Italie et dans les pays de l’Est, ainsi qu’en Chine, où a été transféré le savoir-faire.

La délocalisation comme mode de gestion et son coût
Le phénomène des délocalisations, qui certes date de plusieurs années, a pris une ampleur nouvelle dans un pays comme la France. Il a d’abord concerné des secteurs industriels entiers : habillement-cuir et textile, jouet, équipement du foyer, industries électriques et électroniques, puis plus récemment automobile. Grâce à Internet, il est maintenant susceptible de s’étendre à des secteurs de services aux entreprises comme la comptabilité, la programmation informatique, ou de services aux particuliers comme les centres d’appels.

Le 4 Pages du SESSI (Ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi) de mai 2008 donne des indications précieuses sur les délocalisations et la conquête de marchés extérieurs des entreprises françaises entre début 2003 et fin 2005, montrant que la conquête de nouveaux marchés par l’ouverture de sites à l’étranger représente une part importante de l’implantation des entreprises françaises à l’étranger : respectivement 5 % des entreprises manufacturières de dix salariés ou plus ont délocalisé une partie de leur activité, tandis que 6 % ont implanté à l’étranger un nouveau site sans réduction d’activité en France. 17 % des entreprises de la filière automobile, 17 % de celles du secteur de l’habillement et 15 % de celles du secteur textile ont délocalisé. Les implantations à l’étranger sont plus fréquentes parmi les groupes que parmi les sociétés indépendantes, et plus dans les filiales sous contrôle étranger que parmi les filiales de groupes français. Deux freins possibles aux délocalisations sont identifiés : la crainte d’une perte de qualité, et le rôle de la formation pour conserver des activités industrielles en France en accroissant leur productivité du travail.

P. Aubert et P. Sillardˇ, en 2005, évaluent à 95 000 les pertes d’emplois industriels entre 1995 et 2001 du fait des délocalisations, soit 13 500 par an.

C’est l’industrie automobile qui est de tous les secteurs la plus touchée par les délocalisations : 13,5 % des entreprises concernées, devant l’habillement et cuir (12,6 %), l’industrie textile ( 10,9 %) et l’industrie de composants électriques et électroniques (10,1 %). Dans le domaine des services, la délocalisation fait l’objet d’une excellente étude de Fabien Besson et Cédric Durand qui exposent quels en sont les enjeux pour les politiques publiquesˇ. Ils notent tout d’abord que l’impact du phénomène des délocalisations de services est assez récent, mais est appelé à se développer sous l’effet de l’internationalisation des activités de services, alors même qu’ils assurent environ 70 % de la création de richesse et de l’emploi au sein de l’OCDE, et qu’au niveau des flux de capitaux, ils représentent plus des deux-tiers des investissements dans les pays étrangers.

Quant aux services, la Direction du Trésor et de la Politique Économique avance en 2004 le chiffre de 800 000 emplois soit 7,4 % de l’emploi du secteur tertiaire marchand, comme susceptibles d’être délocalisés. L’étude réalisée par le Cabinet Katalyse pour la Commission des Finances du Sénat prévoit 202 000 emplois de services perdus entre 2006 et 2010, soit 22 % de la création nette d’emplois salariés au cours des cinq dernières années. Comme l’écrit Philippe Villemus dans son ouvrage sur les délocalisations, 80 % de ces emplois perdus seraient le fait de délocalisations pures. Pour les centres d’appel, 10 000 emplois sur 200 000 avaient, déjà en 2005, été délocalisés.

Comme l’écrit Jacques SAPIR dans un article de Citésˇ, « en ce qui concerne la Chine, la productivité y est de 7 % de la moyenne française alors que les salaires y sont de 3 %. Pour ce qui est des ex-PECO, la productivité est de 26 % de la moyenne de l’UE mais le salaire se trouve être dans un rapport de 1 à 6, soit de 16,67 %. La spécialisation de ces derniers comme producteurs de pièces détachées, mais aussi comme assembleurs dans l’automobile est bien connue. » Il ajoute que l’écart de qualité se réduit rapidement, tant dans les ex-PECO qu’en ce qui concerne la Chine.

Il distingue trois types de délocalisations : Les délocalisations directes, ou transferts d’emplois existants dans un pays vers un autre pays avec fermeture de l’usine du pays d’origine. « On considère que ces délocalisations ont coûté en termes nets (soit une fois déduite la création d’emplois issus des activités exportatrices) entre 1 % et 1,5 % des emplois industriels en France, soit 0,4 à 0,6 % de la population active. » Cela peut paraître peu, mais suffit à décimer un secteur industriel.

Les délocalisations indirectes, ou création délibérée d’emplois à l’étranger, pour servir non pas le marché intérieur local, mais pour la réexportation vers le pays d’origine. « On peut chiffrer dans le cas de la France entre 1 % et 1,6 % de la population active le déficit en termes nets. »

Les effets dépressifs sur le marché intérieur : menace de délocalisation et chantage constituent des moyens d’abaisser le coût salarial et d’intensifier la productivité, cette déflation salariale ayant à son tour un effet négatif sur la croissance et donc sur l’emploi.

L’addition de ces trois effets est importante sur l’emploi, et tout emploi industriel perdu induit des pertes d’emplois dans les services. Il en résulte des pertes fiscales –évaluées par Jacques SAPIR à 80 à 120 milliards d’euros pour les pays de l’Union Européenne - , et des pertes parafiscales, comme l’élévation des dépenses d’indemnisation du chômage.

Toujours selon Jacques SAPIR, si l’on cumule tous ces coûts, on arrive à des montants compris entre 3,5 et 7,5 % du PIB pour la France.

Quelles réponses envisager ? Plusieurs réponses peuvent être apportées au fléau des délocalisations et de la mise en concurrence généralisée de tous les salariés à travers la planète. Certaines sont controversées, d’autres sont en débat. Ce qui est certain, comme le souligne El Mouhoub Mouhoudˇ, c’est que les aides de l’Etat devraient se concentrer sur les hommes touchés par les délocalisations et sur les territoires pour en renforcer les atouts par la formation, la reconversion et l’innovation, plutôt que sur les entreprises des secteurs en difficulté.

La reprise : une perspective à revisiter D’un conflit à l’autre, une question court, sous-jacente, rarement posée en tant que telle, mais omniprésente dans l’inconscient collectif : et si les salariés reprenaient l’outil de production ? cela d’autant plus quand ils ont eu l’expérience d’une autogestion de fait de l’entreprise sans patron, comme à la SBFM de Caudan, dans le Morbihan, de février à juin 2009 ?

Pourquoi un tel projet s’avère-t-il impossible à mettre en oeuvre ? Les raisons en sont nombreuses, mais l’une des premières est l’internationalisation des entreprises. Les unités de production appartiennent aujourd’hui soit à des groupes internationaux, soit à des sous-traitants de ces multinationales.

Les produits fabriqués sont de plus en plus rarement des produits complets, mais plus souvent des morceaux de produit fini : des pièces, des éléments de la production finale, qui suppose de rassembler des éléments venus bien souvent de plusieurs pays à la fois.

Ces entreprises n’ont plus rien d’une entreprise familiale comme l’était Lip en 1973. De plus, la concurrence s’est aiguisée et plus aucune entreprise n’est en position de domination ou de quasi-monopole sur son marché. Aussi, toute réappropriation de la production suppose la construction d’un marché local ou de débouchés solidaires par les salariés. Rappelons qu’en Argentine, une entreprise de carrelage réappropriée par ses salariés, Zanon, beaucoup citée, a bâti son marché sur des commandes des écoles et hôpitaux proches, des collectivités locales, et des usagers. Les concurrents étrangers offrent enfin des salaires plus bas et de moindres contraintes sociales et environnementales.

Début janvier 2010 éclate la nouvelle de la reprise de la production par les salariés de l’usine Philips à Dreux, promise à la fermeture à la fin du mois. 147 salariés décident de reprendre et de gérer la production, et stockent sous leur contrôle les téléviseurs produits. Ils démontrent ainsi que la production est possible et rentable, si le premier objectif n’est pas de satisfaire les appétits – démesurés – des actionnaires, et si les salariés prennent en charge la marche de l’entreprise sous leur contrôle. Hélas, dix jours après, lorsque la direction envoie des lettres menaçant de licenciement pour faute lourde les salariés chargés de livrer le matériel à la vente, une AG du personnel décide sous la pression de FO de lever le stockage des téléviseurs, se privant ainsi d’un moyen de pression essentiel, alors même que l’entreprise est promise à la fermeture et sera mise en lock-out le 15 février. Ce qui frappe dans cette brève expérience, c’est le manque de réactivité des forces et partis de la gauche qui auraient pu lui apporter un soutien décisif ; en effet, il s’agissait là de la production de biens de consommation courante, des téléviseurs, qui auraient pu être vendus par les salariés par des canaux alternatifs, un peu comme dans l’expérience de Lip, à plus forte raison si la Région avait apporté son soutien.

Mais il semble que la question de la réappropriation de la production par les salariés n’entre pas encore dans l’imaginaire des forces de gauche, traditionnelle ou radicale, et ne soit pas assez présente dans leurs projets. Or, la question des SCOP est éminemment politique : il s’agit, au-delà d’une forme de propriété collective de la production, d’un projet de transformation sociale et d’émancipation des travailleurs de l’exploitation capitaliste. Mais précisément, le mouvement de création de SCOP est étroitement lié aux perspectives de transformation sociale portées par les forces sociales, et en France, si la CFDT a un temps défendu l’autogestion, elle a opéré depuis un sérieux recentrage et la CGT ne comprend pas ou ne reprend pas dans son idéologie la tradition historique du projet émancipateur des SCOP.

L’intervention des Régions

Certains des salariés en lutte que nous avons rencontrés plaident pour un investissement fort des régions dans le soutien aux entreprises menacées de fermeture, soit par de l’injection d’argent public, soit en aidant à chercher un repreneur, soit en facilitant la création de SCOP pour reprendre tout ou partie de la production.

Il est certain que les régions ne sont pas dépourvues de moyens. Certaines les utilisent, comme le Poitou-Charentes, où Ségolène Royal soutient la création de SCOPˇ, ou comme le Nord-Pas-de-Calais. Elles ont parmi leurs compétences la formation professionnelle, ce qui est très important pour le reclassement des salariés et devrait être aussi utilisé pour leur reconversion en situation d’emploi.

Ces expériences sont intéressantes et ouvrent des pistes qu’il faut développer par une socialisation de la production, un pôle financier public, un appui à la formation et à la reconversion des salariés.

Le contrôle ou l’interdiction des licenciements

La question de l’interdiction des licenciements ne fait pas consensus dans la classe politique ni même au niveau des centrales syndicales. Si le NPA la met en avant, cette interdiction n’est revendiquée que pour les entreprises qui font des profits par l’Union syndicale Solidaires. La CGT, qui porte la revendication d’une « sécurité sociale professionnelle » composante d’un « nouveau statut du travail salarié », réclame la mise en place d’un « droit suspensif des licenciements » et de « conseils territoriaux pour la sécurité de l’emploi. Il nous semble beaucoup plus intéressant de renforcer la protection des salariés et leur capacité à rebondir, plutôt que d’interdire les licenciements, même si le rétablissement d’un contrôle des licenciements et leur pénalisation financière seraient souhaitables.

La sécurisation des parcours professionnels

Deux revendications majeures sont mises en avant par les différents syndicats en France pour faire face aux mutations industrielles avec leur cortège de licenciements : la sécurité sociale professionnelle, défendue par la CGT, Solidaires et la CFTC - avec son projet de statut du travailleur -, d’une part, et d’autre part, la sécurisation des parcours professionnels, seule défendue par la CFDT, pour qui il s’agit de sécuriser les parcours plutôt que le contrat de travail.

La revendication d’un statut nouveau du salarié ou d’une véritable sécurité sociale professionnelle porte sur le maintien du salaire, du contrat et des droits qui lui sont attachés – droit à la formation, à la retraite, à la carrière… - en cas de licenciement. Pour la CGT, il s’agit de créer un « nouveau statut du travail salarié », assurant en cas de licenciement le maintien du contrat et du salaire avec tous les droits sociaux qui lui sont attachés ( à la retraite, à la formation, à la carrière…), jusqu’au retour à l’emploi. Solidaires défend le même projet. Pour ces deux syndicats, le salarié devrait conserver un revenu égal au SMIC. Pour la CFTC, 80 % du SMIC sont revendiqués.

La reconversion industrielle Face à la crise qui frappe l’industrie en France, des experts, des politiques préconisent une reconversion des activités vers les services, et le développement du contenu technologique des produits. C’est l’exemple suivi par la Grande Bretagne par exemple. Mais cela pose une question : un pays peut-il laisser partir toute son industrie et reposer uniquement sur les services, même si ces derniers occupent une place croissante dans les économies des pays les plus développés ?

Nous ne le croyons pas. D’autant qu’une bonne partie des services – les services aux entreprises précisément – dépendent de la présence d’un secteur secondaire. Il n’en reste pas moins que la question de la reconversion des activités économiques est cruciale, ne serait-ce que du fait du coût énergétique et des effets en GES de beaucoup de nos productions majeures, extrêmement dépendantes des énergies fossiles, comme l’automobile pour ne citer qu’elle. Si la nature des productions d’une économie évolue sans cesse sous l’impulsion du progrès technique, il est maintenant devenu impératif de réduire l’empreinte écologique de nos productions. Il en résulte que tout secteur industriel doit faire l’objet d’études prévisionnelles et de politiques délibérées pour assurer son adaptation et sa possible reconversion. De telles études devraient menées sous la direction conjointe du gouvernement et des syndicats de salariés ; ces derniers devraient toutefois avoir un rôle déterminant si l’on veut éviter la fuite en avant qui caractérise les stratégies des capitalistes jusqu’ici.

Cela revient à poser la question : Que produit-on ? Comment ? Pour qui ?
Privilégie-t-on les besoins sociaux et les contraintes d’un développement durable ?
Ces questions sont du ressort des citoyens et des salariés.

La relocalisation

Dans une perspective de lutte contre le réchauffement climatique, de réduction nécessaire des émissions de gaz à effet de serre, et de moindre consommation des énergies fossiles, il est incontournable de s’attaquer aux processus de division internationale du travail, pour rapprocher les lieux de production des lieux de consommation. Avec le passage d’un système de production traditionnel, où chaque pays produit les biens dont il a besoin, à la chaîne de montage internationale où il est devenu rare qu’un pays produise un bien de A à Z, le produit final est vendu à des milliers de kilomètres des lieux d’origine de ses matériaux ou des usines qui l’ont fabriqué.

Les composantes d’une voiture, par exemple, peuvent venir de 16 pays différents. Non seulement cela est insoutenable écologiquement – les processus de production actuels consomment annuellement plus de 220 milliards de tonnes de ressources, toutes tirées du capital naturel de la terre - , mais cela détruit le rapport salarial et les droits des travailleurs.

Cela donne toute son importance à la question de la relocalisation productive, question aussi abordée par Thomas Coutrot dans son dernier livreˇ. Pour lui, « il faut réduire fortement le commerce international de marchandises, et favoriser une relocalisation des activités. Le libre échange n’est pas soutenable socialement, écologiquement , démocratiquement .

L’idée de base est celle d’une politique coopérative et multilatérale de relocalisation.»

Cela suppose bien évidemment de s’opposer aux stratégies de localisation des entreprises multinationales qui orchestrent ce ballet de transports croisés de produits à l’échelle de toute la planète. Pour cela, il faut réintégrer dans le coût des produits le coût environnemental lié à la production de gaz à effets de serre. Thomas Coutrot propose pour cela l’instauration d’une taxe kilométrique sur les distances parcourues par les marchandises.

Dans de nombreux pays, de multiples expériences de relocalisation de la production, de la consommation et des échanges se développent, même si elles n’en sont qu’à leurs débuts, et tracent la voie : en France, il s’agit de monnaies locales, de circuits courts et AMAP, de défense de la souveraineté alimentaire, etc. Mais elles n’ont jusqu’à présent guère posé la question de la relocalisation de la production industrielle, du fait du manque de réflexion des syndicats sur ce sujet. Or, il y a des leçons à tirer des exemples de l’Amérique Latine, ou même d’autres pays comme l’ex-Yougoslavie, comme le montre le récent ouvrage sur « Autogestion, hier, aujourd’hui et demain » réuni par divers auteurs et coordonné par Lucien COLLONGES, paru chez Syllepse en 2010. On conseille aussi la lecture du remarquable ouvrage collectif de l’International Forum on Globalization, sous la direction de John CAVANAGH et Jerry MANDER, « Alternatives à la globalisation économique », Editions Ecosociété, 2005, qui fourmille de pistes et de références concrètes.

La Taxation des importations ?

Ou l’augmentation des salaires dans les pays émergents ?

Puisque les produits importés de pays à bas salaires et à absence de contrainte environnementale constituent une concurrence déloyale ou faussée aux produits fabriqués en France, une autre solution préconisée par certains serait de taxer les premiers, ou de les frapper de droits de douane correspondants au gain engendré par de bas coûts sociaux et environnementaux. Ceci pourrait pousser à l’augmentation des salaires dans ces pays et à une meilleure prise en compte de l’environnement.

Cette piste est notamment défendue par Jacques SAPIR, qui préconise « l’institution de mesures de protectionnisme social et écologique pour à la fois garantir nos niveaux de protection ET organiser une convergence vers le haut dans ce domaine ». C’est ce que d’autres économistes nomment un « juste échange », comme Frédéric Viale. Ce dernier écrit : « le combat contre le libre-échange doit passer par la réappropriation, par les mouvements sociaux et les syndicats, de la notion de protectionnisme. Seul un protectionnisme européen rendra une marge de manoeuvre politique aux populations. Evidemment, il ne sera pas question d’instaurer un protectionnisme européen simplement pour garantir des profits faciles aux entreprises d’Europe. Pourquoi ne pas poser comme règle par exemple que seuls entrent les produits en provenance de l’extérieur de l’Union dont le processus de fabrication respecte les cinq piliers fondamentaux posés par l’Organisation Internationale du travail, parmi lesquels se trouvent le droit de se syndiquer, l’obligation de payer les salariés à un tarif décent, l’interdiction du travail des enfants ? »

Thomas Coutrot est beaucoup plus réservé, estimant que nous avons une dette écologique vis-à-vis des pays anciennement colonisés ou en voie de développement. Il ajoute que « la majorité des exportations chinoises, par exemple, sont le fait de joint-ventures avec participation massive de capitaux occidentaux. Quelle cohérence pour les pays du Nord à délocaliser leur pollution industrielle vers la Chine, pour ensuite taxer cette dernière à cause de cette pollution ? ». C’est pourquoi il suggère une taxe kilométrique.

Un contrôle sur les importations et une taxation de celles-ci sont incompatibles avec les Traités de l’Union Européenne qui tous interdisent le protectionnisme et imposent la concurrence libre et non faussée, en instaurant de fait le dumping social généralisé au sein des 27 pays européens signataires.

Il n’y aurait dès lors que deux choix : sortir de l’Union européenne, ce qui est peu crédible, ou lutter pour imposer un changement des Traités et la mise en oeuvre d’une véritable Europe sociale, imposant un SMIC européen.

Si la piste d’un relèvement significatif des salaires dans les pays émergents est à poursuivre, elle conduit à interpeller les institutions internationales, au premier rang desquelles l’Organisation Internationale du Travail, pour qu’elles poussent à instaurer un salaire minimum international, ou des salaires minima dans les différents pays selon un pourcentage donné de leur produit intérieur brut.

Cette piste est avancée par Fabien Besson et Cédric Durand dans le document de travail du CEPN d’octobre 2006 précédemment cité sur les délocalisations de services. Pour eux, il est nécessaire, face à l’entrée toujours croissante de nouvelles activités dans l’internationalisation des processus productifs, de redonner à l’Etat les moyens de se déployer, ce qui passe soit par un renforcement de leur souveraineté économique, soit par la constitution d’un proto-Etat social mondial.

La Réduction du temps de travail

Passée de mode depuis son application controversée – car peu créatrice d’emplois - par les lois Aubry, la réduction du temps de travail est pourtant l’une des réponses à la hausse de la productivité, car si elle est mise en oeuvre sans recours accru à la flexibilité, elle permet de créer de nouveaux emplois.

Face à l’augmentation constante de la productivité, surtout dans les activités industrielles, la seule solution pour créer des emplois est de réduire massivement le temps de travail, en allant vers les 32H. La réduction du temps de travail doit aussi aller de pair avec des embauches à due concurrence, et non pas se traduire par une flexibilité accrue et une intensification du travail, comme cela s’est produit dans le cas de la RTT mise en place par les lois Aubry.

Une autre politique européenne

Il est peu de dire que la mise en oeuvre de l’Europe dans sa conception libérale actuelle ne favorise pas une politique industrielle nationale, ou le moindre contrôle des importations, choses quasi interdites par les parties de la Constitution consacrées à la politique économique et fiscale.

Une politique européenne radicalement différente serait pourtant l’une des solutions : que l’Europe ait une véritable politique industrielle et économique, et mette en oeuvre un rattrapage par le haut des salaires les plus bas pratiqués dans les pays les moins développés, et une lutte contre le dumping social. Il est certain que si l’Europe imposait partout un salaire minimum décent, l’attrait des pays européens à bas salaire serait bien moindre.

S’attaquer au pouvoir des actionnaires

Le capitalisme s’est profondément transformé ces trente dernières années. Il repose aujourd’hui largement sur la finance, qui représente sa principale source de profit, même si la valeur initiale est toujours extraite de la production. Les dividendes occupent ainsi dans le PIB une part croissante, passée de 3,2 % en 1982 à 8,7 % en 2007 en France. Ne parlons pas de leur explosion sur le plan mondial….Comme on l’a vu dans les pages précédentes, les branches industrielles, les unes après les autres, ont été livrées au capitalisme financiarisé, souvent après de rudes batailles défensives des salariés. Aujourd’hui, on ferme une entreprise qui fait des bénéfices, ou on lui applique des plans sociaux draconiens alors même qu’elle est rentable, car sa rentabilité n’est pas jugée assez élevée. Et chacun sait que rien ne vaut un bon plan social pour faire bondir le cours de l’action en bourse.

Pour limiter le pouvoir des actionnaires, il faut mettre en oeuvre plusieurs mesures, comme le préconise Thomas Coutrot:

interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits

élévation du coût des licenciements pour les patrons, par la mise en place d’une sécurité sociale professionnelle à leur charge

mise en place d’un pôle financier public hégémonique, capable de prêter aux entreprises pour leurs besoins de développement, mais sans spéculer sur les fonds qui s’en dégagent.